L’art du sandwich - 1/2
C’est un fait, le sandwich a la cote.
En France, par exemple, il s’en vend pas moins de 64 par seconde. C’est même le casse-croûte numéro un du pays, devant la pizza. Facile à manger, savoureux, gourmand, complet, on en viendrait presque à croire qu’il existe depuis aussi longtemps que l’humanité cuisine. Et à dire vrai, ce n’est pas si éloigné de la réalité.
LES ORIGINES DU SANDWICH
Bien sûr, les mésopotamiens ne s’envoyaient pas des club-sandwiches sauce mayo, ou des jambon-beurre-cornichons, mais il est avéré que dès l’invention du pain, le réflexe fut de le garnir, ou au moins de le topper de viandes ou de légumes.
Le “sandwich” le plus ancien dont nous ayons gardé la trace est celui du Rabbi Hillel l’ancien, au premier siècle avant JC. Ici, pas de pain de mie moelleux ou de bretzel luisant, mais deux épaisseurs de matzoh, un pain azyme ayant la rude tâche d’encadrer une garniture à base de pommes, d’épices, de cerneaux noix et d’herbes amères. Pas sûr qu’il aurait fait un tabac chez Subway.
La frise chronologique du sandwich est ensuite un peu chiche. Les Grecs puis les Romains se sont bien risqués à envelopper quelques préparations autour d’une galette, mais rien qui ne ressemble de près ou de loin au complet-poulet.
Au Moyen-Âge en Europe, niveau casse-croûte, ce n’est pas vraiment mieux. Les repas étaient souvent servis sur de grosses tranches de pain, sur lesquelles on empilait de la viande, des légumes et de la sauce. Une autre tranche de pain sur le tout et vous inventiez le sandwich, messires… Dommage ! Un peu plus tard, la littérature anglaise dont Shakespeare, dans certaines de ses pièces, nous rapporte l’existence de repas composés de “pain et de viande” ou de “pain et de fromage”, consommés froids. Il faudra encore quelques décennies avant qu’un génie de la trempe de Galilée ou de Newton se décide enfin à coucher un deuxième morceau de pain sur le premier.
L’INVENTEUR DU SANDWICH
Selon l’histoire bien connue, c’est au cours d’une partie de cartes endiablée que John Montagu, Comte de Sandwich et Amiral de la Flotte du Roi Georges III, aurait demandé à ce qu’on lui serve illico-presto un en-cas qui tienne au corps afin de pouvoir rester concentré sur sa partie, nom d’une pipe. Son valet aurait alors eu l’audace de lui apporter une tranche de bœuf salé et un morceau de fromage cernés de deux tranches de pain. Ses acolytes de jeu, ébahis par ce repas express qui permit au Comte de se rassasier sans se salir les mains, réclamèrent aussitôt “la même chose que Sandwich”. Au fil des parties, un simple “sandwich” lancé à gorge déployée à l’intention des laquais suffit à se faire comprendre. Si les faits sont certainement romancés, c’est très probablement dans ce contexte et à cette époque que le sandwich “moderne” trouve son acte de naissance. C’est d’ailleurs un auteur Français, Pierre-Jean Grosley, qui en rapporte l’histoire dans un récit de voyage, Tour to London, en 1762.
La popularité du sandwich se répandit progressivement en Europe, devenant un mets apprécié des nobles et des bourgeois qui le consommaient lors de leurs sorties en ville. A tel point qu’un soir d’hiver 1910, à Paris, l’affaire vira au drame. En sortant de l’Opéra, des clients d’une célèbre brasserie parisienne, plus nombreux qu’à l’accoutumée, commandèrent comme à leur habitude un sandwich jambon, beurre, fromage. Rapidement dépossédé de son stock de baguettes, le patron de l’établissement se résigna à le remplacer par… du pain de mie, avant de passer le tout au four pour le rendre plus savoureux. Le croque-monsieur était né ! Un siècle et demi plus tard, les français donnèrent donc la réplique aux anglais en inventant une version chaude de l’en-cas préféré de Lord Montagu.
BIEN PLUS QUE LE SIMPLE TRYPTIQUE : PAIN-VIANDE-FROMAGE
Il serait cependant, carrément réducteur de limiter le sandwich au tryptique pain-viande-fromage. Quiconque a traîné ses guêtres à l’étranger aura pu constater l’immense diversité de casse-dalles, chauds ou froids, viandards ou végés. Histoire de se mettre l’eau à la bouche, on ne résiste pas à l’envie de citer certains des plus fameux. Le chawarma, par exemple, typique des cuisines levantines, consiste en un pain pita ouvert, garni de crudités et de viande marinée grillée sur une broche tournante. Il est à l’origine du non moins fameux kebab, d’origine turque et largement popularisé en Allemagne.
Beaucoup plus à l’Est, au pays du soleil levant, le katsu sando régale les japonais urbains lassés du ramen. La recette : une belle escalope de cochon panée entre deux tranches de shokupan, un pain au lait aérien, un peu de salade et de mayonnaise pour un résultat aussi savoureux que photogénique. Toujours en Asie, et plus précisément au Vietnam dont il est originaire, le banh-mi se compose quant à lui d’un pain baguette tranché, dans lequel se glisse du pâté ou des tranches de bœuf, des crudités, de la sauce et des herbes fraîches.
Pour goûter un peu de poisson, on se laissera tenter par le broodge haring batave. Typique de la côte des Pays-Bas, il se compose de hareng cru, de pickles et d’oignons, souvent servis dans un petit pain. À éviter avant un rencard.
“Le sandwich est bien plus qu'un simple en-cas populaire.”
Pour conclure, l’histoire du sandwich remonte à l'invention du pain, et depuis lors, il a évolué pour devenir un mets apprécié dans le monde entier. Du sandwich du Rabbi Hillel l'ancien à la création du croque-monsieur à Paris, le sandwich a su se réinventer et s'adapter aux goûts et aux cultures de chaque région. Sa diversité est manifeste dans des délices comme le chawarma levantin, le katsu sando japonais, le banh-mi vietnamien et le broodge haring batave néerlandais. Le sandwich incarne la commodité, la variété et la créativité culinaire, et son attrait continue de grandir à travers le temps et les frontières.